mercredi 12 mars 2014

2/ Un père qui meurt


A ma mort, j’aurai si froid 
Épargnez-moi le frisson de la terre 
Brûlez mon corps
Que son ultime chaleur aille jusqu’à vous 
Comme j’ai brûlé mes lèvres au thé brûlant 
De mon père 
Tendez vos mains 
Qu’elles se réchauffent à mon dernier feu 
Que vos yeux brillent de ma dernière lueur

p. 31Ma pré-adolescence prit fin brutalement à l’âge de douze ans. Ma mère me réveilla dans la nuit. Papa venait de mourir. Dans la chambre exiguë où j’ai dormi souvent, il était recouvert d’un drap écru. J’aurais aimé qu’il ait la force de le repousser comme on chasse un mauvais rêve. Elle me dit : « Embrasse ton père ». Je ne voyais pas son visage, mais devinais son front. Je me suis penché pour l’embrasser. Je sortais du sommeil et mes larmes ne vinrent pas. Je m’en acquittai plus tard, le nez collé au carreau d’une fenêtre. Le chagrin sans larmes n’aurait pas été un vrai chagrin. 



Sur l'image de droite, le fourgon s'apprête à partir et dévoile quelques signes de mon destin futur : Le café des Beau-Arts à gauche, l'Institut de Beauté à l'entresol au-dessous du restaurant, et La Coupole, nom de l'institut près des Beaux-Arts de Paris.




Mon père tel un "I" dans la neige, soutenu par une ombre douce et longue, les chaussures de ville enfoncées dans la neige, le bras ballant, interminable et sa longue main, aux doigts fins, aux articulations larges, sa longue main dont j'admirais les veines épaisses, toujours gonflées, comme si elles n'avaient jamais oublié que l'effort appelle le sang. Mon père, isolé de pleurésie, souriant  s'excusant d'être atteint dans un paysage à l'unisson de sa solitude.




Avant la maladie 
En fin de semaine, mon père revient avec la paye. Des billets dans une enveloppe. Ma mère est devant ses fourneaux. Mon père semble heureux. Il se plaque contre elle et glisse l'enveloppe dans la poche de son tablier. Il veut l'embrasser mais ma mère se dégage sans heurt et lui dit :  "Je t'en prie Nissim, pas devant les gosses."












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