jeudi 26 juin 2014

19/ Peep-Show


p. 135 L’intérieur était formé d’un cylindre. Son rayon n’excédait par un mètre cinquante. Une piste qui tournait sur elle-même était recouverte d’un tapis à poils longs. Autour de ce cylindre, une couronne de cabines de la largeur d’un homme était interrompue par une porte entrouverte. Une femme assise attendait son tour dans un peignoir fripé. Elle tricotait.

 Une autre femme était déjà sur la piste. Mal installé dans le fauteuil de la cabine, je la regardais se mouvoir. Derrière la vitre, la chair était là, et se pâmait d’ennui. Elle mouillait son doigt à la salive et le passait sur la pointe du sein d’un geste à faire crisser le bord d’un verre de cristal. Cette femme en talons aiguilles, lanières aux chevilles ne portait rien de plus. Elle s’approcha de la vitre, me devina et parla sans que je comprenne. D’autres rideaux se levaient, d’autres hommes s’oubliaient dans le boyau circulaire. Dérouler d’une main, arracher d’une main, froisser d’une main le papier crépon offert par la maison. L’autre main hésitait, vérifiait la porte à la targette douteuse. À mes pieds dans une corbeille, sur le fin papier luisait une sève de solitude et d’abandon. Elle, servie sur un plateau, sexe rasé comme le crâne d’une collabo qu’on montre du doigt, s’ébranlait mollement aux sons d’accents dancefloor
Chacun dans sa cabine fouille ses poches pliées par la station assise, rencontre son sexe en cherchant la pièce de monnaie nécessaire, dans la quasi obscurité, supputant au toucher que c’est la bonne. La pièce devient sale d’un coup, ou bien c’est la sueur du pouce et de l’index. Le compteur à monnaie épuise les secondes rouges, revient à zéro et renvoie entre la piste et soi, son rideau. 
Il aurait suffi que j’aie entre les mains un carnet de croquis et un crayon pour que mon regard change et qu’il voie dans cette danseuse accroupie, l’une des femmes au tub de Degas ou Manet. 


Femme au tub d'Edgar Degas

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