dimanche 1 juin 2014

16/ Histoire de Maria

p. 118 Je l’ai appelée et nous avons convenu d’un rendez-vous. Je l’ai retrouvée entre deux sorties de métro, assise sur un bac à fleurs sans fleurs. Derrière elle, une borne géante rouge et blanche, comme sur les nationales, indiquait la ville du Kremlin-Bicêtre. Elle était bien trop couverte pour la chaleur qu’il faisait et portait autour du cou une longue écharpe rose.





Je l’ai conduite chez moi. Le trajet habituellement si court me parut interminable. Elle marchait péniblement à cause de ses chaussures trop petites et trop pointues. Arrivée dans la pièce qui me servait de studio, elle sortit de son sac diverses lingeries pour que je choisisse. Elle proposa aussi deux tubes de rouge à lèvres : l’un rose, l’autre écarlate. Je lui indiquai la salle de bain pour qu’elle se prépare, mais elle préféra rester dans la pièce. Elle choisit le plus rouge de ses lipsticks et se maquilla devant un petit miroir carré décoré d’un Snoopy.



p. 120-121Elle rangeait l’activité de modèle dans la catégorie petits boulots passagers. Habituée à surmonter sa pudeur elle exhibait bien plus que son corps. Sa chair se faisait verbe. Elle touchait ce qu’elle avait de plus intime. Elle était la seule à pouvoir le faire en dehors de l’homme qu’elle aimait. Panoplie d’un gagne-pain transitoire, les vêtements qui voilaient son corps avec légèreté avaient deux fonctions. Etre des tenues de travail mais aussi des objets de séduction pour son ami. « Il faut travailler, travailler » répétait-elle comme un refrain. Préoccupation vitale qui tournait à l’obsession. Elle fut d’abord secrétaire dans une société d’import-export de bois en gros pour meubles et cercueils. Elle cherchait à nouveau une vieille dame à aider. Travailler deux jours par semaine serait bien suffisant. 



Maria répond à  l'appel du futur client photographe 


Elle ajouta aussi : « Ce n’est pas le plus important d’être belle, je crois. Le plus important c’est accepter son corps. Mais je n’aime pas être sans maquillage. Sans maquillage je suis vraiment pâle, pas jolie. Mais pas moche non plus. Je mange beaucoup de gâteaux, mais mon copain m’aime comme ça. Il n’aime pas les filles maigres. (Elle touche son ventre) Mais si je commence à maigrir, ça va pas disparaître, non ? C’est les seins qui vont disparaître. 



"Ils vont être comme ça, oui. (elle écrase avec ses deux mains son sein droit et l’étale comme une pâte à tarte.) C’est moche. J’ai déjà vu des filles qui ont des seins ! Je sais même pas faire. C’est pas joli."



p. 122 Je me fous de ce qu’on fait après avec mes images. Peut-être que quelqu’un se branle devant mes photos, (rires) je n’en sais rien. Ça ne m’intéresse pas.

p. 125 J’ai contacté Maria deux ans après le tournage de la vidéo. Elle n’a pas répondu tout de suite. Elle était à Torun en Pologne. Elle m’a dit qu’elle s’était inscrite comme modèle dans un laboratoire photographique qui louait à l’heure un studio de prise de vue. On pouvait consulter le catalogue des filles qui y travaillaient. Je pouvais la photographier là-bas, rue de Bagnolet. 







Elle était toujours amoureuse du même homme. Un Équatorien dont elle apprit plus tard qu’il était marié et père de quatre enfants. Ils rompent souvent mais se retrouvent. Elle voulait qu’il divorce d’avec sa femme. Comme elle n’arrivait pas à ses fins, elle a pensé qu’en ayant un enfant de lui, il s’attacherait à elle et quitterait sa femme. Contre la volonté de l’homme elle tomba enceinte. Il lui demanda d’avorter et disparut pendant près de trois mois. Elle mit au monde un enfant qu’il n’a pas voulu reconnaître. Elle a obtenu une place dans un foyer pour mères célibataires et l’homme vient de temps en temps lui rendre visite. Un jour il quittera sa femme, croit-elle. 




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