samedi 14 juin 2014

18/ Le Sexodrome

p. 131 En sortant du musée de l’Érotisme qui s’intéressait à certains de mes livrets, je suis entré dans un établissement nommé le Sexodrome à Pigalle. Un large escalier menait au sous-sol de cette grande surface du sexe. Un homme usé, déchirait les tickets d’entrée et chargeait les cassettes vidéo. À gauche de ce passage obligé, une porte peinte de rouge sombre à la serrure arrachée ouvrait sur les uniques toilettes à la turque, puantes et bouchées. La pisse s’était répandue sur le carrelage et en imprégnait les joints crasseux. Le poids des corps livrés à leur étreinte furtive cadenassait, en la poussant, la porte à l’abandon. Dans un labyrinthe de couloirs étroits, les murs et les sols étaient recouverts de grands carreaux gris à peine éclairés par de rares plafonniers. L’air n’était qu’un souffle humide. Des hommes de tous âges, et, à en croire leurs vêtements, de toutes conditions, se frôlaient, déambulant de cage en cage, au rythme de la promenade dans une cour de prison. Ils cherchaient une cabine libre équipée d’un écran et d’un siège étroit aux accoudoirs troués recouverts de skaï noir, émiettés de leur mousse par des doigts nerveux. L’un d’eux n’a pas pris la peine de refermer la porte. Il était assis devant un écran bleu sans image. Nu, la tête tournée vers le couloir pour accrocher un regard, il attendait, le sexe au repos posé sur ses cuisses jointes. Qui mordrait à l’hameçon ?
Les écrans encastrés dans des niches déversaient viols, mots salaces, laitances poisseuses qui injurient le visage des suceuses à perpétuité, des femmes claquemurées par des hommes, pour qui chaque trou est une menace de parole. Elles avaient le choix entre crier ou pleurer. Qu’elles fassent semblant de jouir, il leur serait beaucoup pardonné. Râles de mouroirs, de douleurs et de ravissements simulés.
Certaines cabines étaient désertées. Des feuilles blanches collées sur les portes indiquaient hâtivement au feutre bleu les mots : gros seins, homo, animaux, transsexuels, anal, urine, double pénétration. Dans un boîtier, on pouvait glisser des pièces de monnaie ou introduire sa carte bancaire. Il y avait même un téléphone qui servait à formuler des demandes plus expertes. 




Une image apparut sur l’un des écrans. Dans une pièce au luxe de H.L.M., une fille blonde à peine maquillée se trouvait par désenchantement, échouée sur un linoléum imitation de travertin. Au mur, la reproduction d’une scène galante de Boucher faisait tache sur un papier peint de style toile de Jouy. 
Le corps et le visage de la fille étaient très fins. Les cheveux relevés en chignon, elle ressemblait à une jeune bourgeoise de province. Une femme comme on aime en avoir à son bras. Belle à marier. Sur sa guêpière dégrafée, deux bas blancs s’accrochaient à sa chair diaphane. Seule une sale griffure à la hauteur de l’omoplate la parait d’une broche indésirable. 
Elle fut mise en présence d’un chien dont je ne connais pas la race, dont je ne veux pas connaître la race. Grosse gueule aux oreilles immenses et pendantes. Ses pattes avant étaient gantées de chaussettes lâches maintenues par du sparadrap. Il fourra sa tête entre les cuisses de la fille, lui lécha la vulve, le cul comme s’il voulait la laver consciencieusement. Elle leva la jambe pour offrir un meilleur angle à la caméra. Tous les efforts de la fille pour se mettre à l’aise restèrent vains.
Le chien excité tenta de la pénétrer. Elle lui tendit ses fesses. Il cala ses pattes avant de chaque côté de la taille et commença un va-et-vient au petit bonheur. Longues minutes d’approximation. Il n’y parvenait pas. Le chien n’était bon à rien. Dès que son sexe en biseau émergea de son fourreau de poils, il délaissa la fille, se mit en boule à quelques pas d’elle pour mieux se lécher, l’ingrat.



Tous deux ne comprenaient pas ce qu’on leur demandait. Elle se vomissait. Une contrariété, née de l’absurdité de ce qu’elle endurait, se propagea en une chair de poule sur toute sa peau. L’homme derrière la caméra, dont j’aperçus le genou de blue-jean délavé, lui fit signe. Il sentait bien que la belle et la bête étaient des amateurs. Le cœur n’y était pas. La demande de l’homme ne correspondait à aucune langue connue de la femme. Je crus comprendre qu’il leur ordonnait d’arrêter. Elle s’adossa au mur, éclata en sanglots. La caméra continua d’enregistrer. L’homme n’avait pas les images de la saillie tant attendue. Ce ne sera pas un chef-d’œuvre, mais qui pouvait rester insensible à l’humiliation et à la rosée des larmes.



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