samedi 29 mars 2014

9/ La mort d'une mère

p. 87 Même morte, une mère n’en finit pas de mourir. Je devrais dire la mort de notre mère, puisque nous étions quatre enfants encore à subir son départ. Certains mots, maintes fois prononcés, deviennent exsangues et insensés. De quel départ s’agit-il puisqu’elle sera privée de tout voyage futur ? Elle aurait voulu secrètement retourner au Maroc, se pencher et déposer une pierre blanche sur la tombe de sa mère, effacer la contrariété et la fatigue qui l’ont dissuadée de se rendre à ses obsèques. 




Maman lors d'un voyage au Maroc


p. 88  Son visage fut lentement saisi par un ton de pierre. La bouche s’est tue. Le sang a reflué dérobant sa couleur et les mots absorbés se sont déliés en silence ainsi que les réponses aux questions que je n’ai pas su poser à temps. Mais il n’aurait pas suffi d’exiger des réponses pour qu’elle puisse les penser et s’en délivrer un jour. J’aurais dû l’aider à formuler l’indicible de Drancy, le silence tumultueux de sa liaison avec l’oncle et l’arrachement douloureux à sa terre natale.



L'oncle Joseph en Narcisse



Je n'ai pas compris de suite ce qui m'avait poussé à faire allusion à Narcisse quand j'ai titré la photo de l'oncle Joseph. Le lendemain, je me suis rendu au musée des Beaux-Arts de Lyon et j'ai redécouvert une peinture de François Lemoyne. Elle représente Narcisse penché sur son image qui se soutient  avec un bâton tel un peintre sur son appuie-main. Mon oncle semble gratter la terre pour y retrouver le portrait de ma mère souriante.
Selon une autre version du mythe de Narcisse rapportée par Pausanias, Narcisse avait une sœur jumelle dont il tomba éperdument amoureux ; quand la jeune fille mourut, il se rendit tous les jours près d'une source pour y retrouver son image en se regardant lui-même dans l'eau limpide. 
Cette version a ma préférence.











8/ L'enfance de l'art


p. 80 Pour mon bien, j’ai beaucoup diversifié mes activités. Pendant près de sept ans je me suis rendu deux fois par semaine dans un institut pour enfants autistes. J’ai commencé d’abord par faire peindre de jeunes enfants, mais le plus important fut d’initier le personnel soignant à la peinture. Les éducatrices apprirent à discerner les grandes différences qui pouvaient exister entre chaque peinture d’enfant. Il était tentant d’établir un lien entre ces peintures qui n’accédaient pas à une symbolisation des formes, et l’Action Painting américaine des années cinquante. 

La question de l’opportunité de signer une peinture se posait alors. La toile étant elle-même une succession de signatures du corps. Plutôt que de considérer la différence entre figuration et abstraction, il était plus pertinent d’analyser la trace du corps qui figurait sur la toile. Sans pouvoir formuler ces questions, les enfants en illustraient la problématique. Je donnerai pour exemple une situation que j’ai vécue et qui rend compte avec ironie de ce qu’est le All Over» en peinture. 

J’avais tendu au mur une grande feuille de papier blanc puis refermé la main de l’enfant sur le manche d’un pinceau chargé de couleur. Par le plus grand des hasards sa première trace effleura la feuille mais continua sa course au-delà des bords. Les autres murs de la pièce, les carreaux des fenêtres furent touchés, tachés à leur tour, témoins de la valse étourdissante de l’enfant. J’ai pu lui reprendre le pinceau quand il le passa sur mes chaussures. 
Je n’avais pas prévu une telle rapidité d’exécution. Pour cet enfant, aucune spirale n’était assez ample pour atteindre le monde. Moi, quand je dessinais, je ne pouvais ignorer le support qui fait écran. Les quatre lignes du cadre infléchissaient chacun de mes tracés. Si mes gestes avaient été filmés au ralenti, ils auraient trahi mes hésitations entre un chemin plutôt qu’un autre. Par ce débat involontaire et scrupuleux, je ne pouvais prétendre à la geste indifférenciée de l’enfant autiste qui touchait et confondait toute la réalité du monde en se privant à son insu, des formes symboliques pour le décrire.





 

Enfant peignant






Deux peintures de J. (10 ans)

Peinture de J.F (11ans)



Deux peintures de B. (11 ans)



 Deux peintures de J.F. O (11 ans)


mercredi 19 mars 2014

7/ Beaux-Arts : de Lyon à Paris

p. 66 Je fus reçu aux Beaux-Arts de Lyon avec un maigre dossier qui comprenait des copies de quelques Picasso de la période cubiste faciles à imiter. 


Femme à l'éventail de Picasso
On me dit que j’avais des dispositions pour la peinture, mais ce qui était enseigné ne me convenait pas. Je voulais apprendre à dessiner et peindre selon les critères classiques. Seul le cours de dessin de Monsieur René Chancrin m’intéressait. Peintre de natures mortes, Chardin local et gloire lyonnaise, il savait comme personne rendre le poudreux de la farine et la brillance des œufs. Nous travaillions d’après des chapiteaux et des antiques. Il m’avait dit : « Apprends d’abord à dessiner et ensuite nous verrons si tu as quelque chose à dire. »


De René Chancrin :
Amandes et pastèques
Pain et vin



Ce quelque chose à dire me rendait anxieux. Et si je n’avais rien à dire ? Mon ambition se cantonnait à devenir professeur de dessin pour travailler moins et avoir du temps pour vivre. Comme je portais une blouse grise et un béret et que je rangeais mes tubes de peinture dans une boîte à outils en métal bleu, pour les anciens, j’étais « le mec de chez Renault. » Ils me raillaient et le bizutage fut cuisant. Je fus trempé nu dans une baignoire remplie de peinture bleue, on me cassa des œufs sur la tête, et je fus nettoyé à grands coups de balai brosse. Les anciens me promenèrent dans les rues avec, attachées à la taille, quelques boîtes de conserve vides au bout d’une ficelle. Mes premiers pas en art furent difficiles. Je dus mon salut à la sympathie que j’inspirais à deux anciennes qui me prirent sous leur protection pour écourter mon calvaire. 

On aperçoit au premier plan, le rebord de la baignoire






p. 66 et 67 À l’École, l’ambiance était encore celle des artistes maudits. Soirées nouilles et vin, discussions enfiévrées, hiver sans chauffage. Certains garçons portaient encore le costume de velours marron, la barbe, et fumaient la pipe bourrée d’Amsterdamer. Les deux anciennes buvaient sec et il fallait parfois les retenir en haut des escaliers pour éviter qu’elle ne se jettent dans le vide en criant le nom de leurs amants. Ces derniers ne comprenaient pas pourquoi elles couchaient avec d’autres dans nos soirées en criant : « Ne me laisse pas avec lui mon amour, viens je t’en prie, viens te joindre à nous. » Époque bénie que je perpétuai l’année suivante en étant reçu aux Beaux-Arts de Paris. 

Nous avions parodié le Déjeuner sur l'herbe de Manet en le renommant
Le déjeuner sur la paille.

Aux Beaux-Arts de Paris les femmes qui posaient étaient pudiques. Elles se déshabillaient derrière un paravent et venaient poser sur la sellette, parfois avec leur chien, sage comme une image de chien. Elles déposaient un gros réveil à côté de leurs mules aux couleurs vives pour les 45 minutes réglementaires et les rechaussaient pendant le quart d’heure de repos, drapées dans un peignoir élimé. Elles portaient la nudité comme d’autres arborent l’uniforme : avec prestance et fierté. L’une était américaine et l’autre russe. Elles se prénommaient Carol et Dimitrova. Carol avait des jambes interminables et fut mannequin aux États-Unis. Le corps trapu et ferme de Dimitrova, d’origine bulgare plaisait aux sculpteurs. À la pose elles venaient jeter un coup d’œil sur les croquis pour les commenter. Elles n’en profitaient pas pour étirer leur temps de repos. Le quart d’heure passé, Carol, s’écriait invariablement : « Allez, au travail ! »
Dimitrova respectait une immobilité parfaite pendant le temps de pose. Seuls quelques mouvements de sourcils et la ligne de sa bouche sursautaient après plusieurs heures stoïques. Carol avec son regard hautain et la fierté d’être une muse ne laissait rien entrevoir des difficultés à tenir la pose.


p. 69 Un an après le début de mes études aux Beaux-Arts, je me suis présenté au poste d’assistant de monsieur Tondu. Je l’aidais à organiser les séances quotidiennes de travail avec les modèles vivants. Nous étions très peu nombreux à fréquenter son atelier remisé au dernier étage de l’Hôtel de Chimay dont les fenêtres donnaient sur la Seine et le musée du Louvre. Le vieux professeur sortait toujours la même blague : «On peut dire qu’il y a dans mon atelier trois pelés et un Tondu. »
La révolution culturelle de mai 68 était passée par là. Toutes les copies des antiques avaient été déménagées pour laisser le Palais des Études totalement vide.



A gauche une vue partielle du Palais des Etudes avant le déménagement des copies d'antiques. De nombreux étudiants venaient étudier et se confronter au dur apprentissage du dessin et du lavis. A droite, le même lieu, renommé Cour vitrée. Un immense hall, une salle des pas perdus désaffectée.


La particularité de l’atelier Tondu fut de conserver l’enseignement du portrait et de la figure peinte d’après modèle vivant. Il avait été l’élève de Cormon, un artiste de la Belle Époque qui peignait de grandes scènes de la préhistoire. Cormon initia des élèves tels que Matisse, Toulouse-Lautrec, Soutine et même van Gogh. Monsieur Tondu se vantait d’avoir dépanné Soutine en lui prêtant un tube de rouge de cadmium qui aurait servi à peindre son Bœuf écorché . Il avait obtenu le Prix de Rome en 1931. Sa toile représentait une famille française qui avançait de front. L’un d’eux portait un gros pain sous le bras. Sa mémoire immédiate lui faisait défaut, et il ressassait toujours les mêmes anecdotes de sa jeunesse. Atteint de surdité, il évitait de poser des questions de peur de ne pas comprendre les réponses. Il ne jurait plus que par Ingres et La Femme à la perle de Camille Corot. Il admirait la matière fatiguée du visage. Elle témoignait selon lui de la lutte du peintre avec son exigence. On connaît moins les portraits de Corot que ses paysages. Pourtant dans ses portraits, la subtilité des coloris évoque plus sûrement la présence de la terre et la couleur des plantes. 


La femme à la perle de Camille Corot



            J'avais demandé à cette femme qui fréquentait un bistrot de la rue Jacob de venir poser pour moi à l'atelier.





Pendant les deux premières années aux Beaux-Arts, je me suis consacré presque exclusivement au dessin et à la peinture mais la photographie m'attirait. J'avais pour projet d'aller photographier les modèles professionnels dans   leur lieu de vie. Certaines étaient proches de la retraite et je voulais savoir dans quelles conditions elles vivaient. Madame Stéfanopoli avait une allure de grande bourgeoise mais les dernières années, atteinte par le maladie elle vivait dans une chambre minuscule et le désordre était à son comble. Elle accepta que je la photographie mais à peine avions nous commencé que sa fille que je ne connaissais pas frappa à la porte. Elle me dit de ne pas parler de séance photo, mais elle finit par lui dire pourquoi j'étais là. Elle l'invita à poser auprès d'elle. Sa fille y consentit à condition de garder son pantalon car elle avait ses règles.Ce que madame Stéfanopoli voulait mettre en scène, c'était son ascendant sur sa fille qu'elle considérait peu cultivée et sans   classe.




J'ai aussi photographié Solange, un modèle qui "prenait bien la lumière" et dont les formes se 
déployaient harmonieusement quand elle s'allongeait. Malheureusement dans mon entourage, 
mes premières séances furent malvenues et j'arrêtai de photographier pendant près de quatorze ans.





p. 78 et 79 Pendant toutes ces années, je me suis englué en peinture. J’aimais pourtant la contempler, et après chaque visite de musée, renaissait en moi l’envie de peindre. Mon ascèse temporaire ne tardait pas à être balayée par les difficultés rencontrées. Je mesurais l’écart considérable qui me séparait des chefs-d’œuvre. La nature même de la peinture à l’huile m’entraînait dans une confusion des couleurs, qui en se mélangeant, produisaient un gris sale et une certaine veulerie de la forme. Je devais donc attendre patiemment le séchage pour continuer à monter la couleur. Parfois la dimension du support et les formes inscrites ne s’entendaient pas entre elles. À d’autres moments les pinceaux n’avaient pas la bonne taille, la toile trop lisse ou trop rêche n’était pas en adéquation avec le sujet. Il m’arrivait de quitter l’atelier avec la vision d’une peinture lumineuse. Mais pendant la nuit, les couleurs fraîches se mélangeaient, et le lendemain matin le résultat me paraissait terne. Tout était à reprendre.
J’aurais pu faire de la peinture comme on aime cuisiner. M’en barbouiller des pieds à la tête et sortir en fin de journée, la salopette et les mains maculées comme une palette pour aller boire une bière sur le zinc du café du coin. Mais mon travail ne se démarquait pas de ce qui avait déjà été fait. J’avais réussi à peindre une poignée d’œuvres qui me semblaient honorables. J’ai tenté d’élargir la palette des peintures océaniennes de la terre d’Arnhem au nord de l’Australie où la monnaie locale était basée sur l’échange de pigments. 



Deux versions des Trois Parques





A gauche, Namarwon Dieu de la foudre, peint sur écorce en Terre d'Arnhem
A droite, une interprétation plus colorée peinte en 1990 à Paris




Je savais à peine lire quand je voulais me procurer le magazine "Spirou" chez le libraire, la veille de la parution hebdomadaire. J'espérais en vain que le précieux magazine serait déjà livré. Le marsupilami a quelque ressemblance avec Namarwon. Alors que les attributs sexuels sont généreusement décrits pour Namarwon, ils apparaissent de façon subliminale dans le déplacement nuageux du marsupilami.



Lointain Rwanda 1994




p. 78 Une fois de plus, l’École a dernièrement pris en marche le wagon de queue de la modernité en nommant comme nouveau directeur l’ancien responsable du Palais de Tokyo. Les parcs d’attraction et les lieux d’exposition peuvent se donner la main dans une ronde où les Mickey, les Astérix, les chiens de porcelaine de Jeff Koons s’entraînent dans une folle farandole ludique et festive. Le jeu consiste maintenant à savoir faire la différence entre certaines œuvres exposées et les objets mis en scène fortuitement par les travaux en cours. Concevoir devient plus important que réaliser, et il est préférable pour un artiste d’avoir un carnet d’adresse de bons artisans plutôt que de se décevoir dans la confrontation avec la résistance des matériaux. Si le spectateur n’a pas de sens ludique, et s’il ne fait pas appel à son intellect pour tirer de l’œuvre la satisfaction de sa propre intelligence, il passe devant, incrédule, poussette à la main pour initier très tôt sa progéniture aux mystères de la création. 



mardi 18 mars 2014

6/ L'homme invisible

p. 57 Je me croyais naturellement protégé par le fantasme de ma non présence. J’ai poussé encore plus loin ma tentative incongrue de dissolution en me persuadant qu’en deçà de mes orbites où se logeait mon regard, n’existait aucune matérialité. Tout ce qui pouvait me complexer physiquement disparaissait. J’étais enfin transparent. Souvent habillé en noir et gris, je croyais en ma totale neutralité. Il fallait que ce qui me regarde ne vienne pas du regard des autres. Si une femme m’adressait un compliment portant sur mon physique, il s’ensuivait un malaise profond. Qu’elle ne dise rien qui puisse me réincarner me semblait la meilleure attitude à adopter. 


Depuis quelques années j’ai retrouvé une certaine neutralité de mon image quand je masse. La personne est allongée, les yeux fermés et j’essaie d’être le plus silencieux possible. Je disparais derrière mes mains comme un manipulateur de marionnettes dans le théâtre japonais Bunraku. 

Marionnette de Bunraku





 
p. 59 Je trouvais les filles et les garçons de la bourgeoisie lyonnaise très élégants, oblongs, les hanches étroites. Moi, petit, je me comparais aux personnages sculptés sur les chapiteaux romans et écrasés entre les voûtes et les colonnes. Ils ne manquaient pas de grandeur à éprouver leur envergure sans jamais la déployer. 

A gauche : Détail d'un chapiteau à Souvigny (Allier)
A droite : Une peinture que j'avais titrée : Christ Lapin




5/ L'armée

p. 55 J’eus la chance de ne pas partir en Algérie et j’évitai ainsi de perpétrer des actes qui m’auraient détruit. Je fis mes classes à Montélimar sous un soleil à faire fondre le nougat, et l’on m’attribua des brodequins trop petits qui me laissaient les pieds en sang après de longues marches. 
Nous passions beaucoup de temps à des activités occupationnelles. Par exemple gratter la peinture de tabourets métalliques qui venaient d’être peints pour les repeindre à nouveau. 
Les manœuvres harassantes, les dimanches interminables à regarder la télévision en se gavant de Cacolac, les bals pour militaires dans des locaux préfabriqués où nous devions rester en tenue, les nuits de garde interminables devant un brasero pour se réchauffer, mirent fin à mes envies de faire rire les autres. 


En arrivant à Laval, j’appris à taper à la machine et devins secrétaire d’un capitaine aussi raide que ses chemises amidonnées. Il devait son grade au fait d’avoir rejoint tardivement les rangs de la Résistance. Sa mâchoire de chien compensait un front minuscule. On me nomma caporal-chef car je savais comme mon prédécesseur, dont la féminité plaisait à l’officier, taper le C majuscule de Capitaine en frappant deux fois de suite la touche de la parenthèse, avec des tirets au sommet et à la base des parenthèses en débrayant le rouleau de la machine à écrire. La Nation pouvait dormir tranquille.

Nous n'avions pas le droit de sortir en civil à Laval. Chacun de nous avait de quoi se changer au fond de son sac. Parfois nous faisions une drôle de fête entre garçons dans la chambrée de 33 lits.
Nous avions soulevé de terre celui que nous appelions "l'idiot" à cause de son fort accent paysan. Ma main l'agrippe à plein mollet.


lundi 17 mars 2014

4/ L'insouciance

p. 53 Une courte période avant le service militaire fut celle de l’insouciance au soleil des montagnes enneigées et des plages. Ces instants de ma vie n’ont de réalité qu’à travers les photographies envoyées par un ami d’enfance, et sur lesquelles je me reconnais à peine. C’est comme si les affects liés à cette période s’étaient effacés. Nous étions tous très minces, presque maigres et je crois que l’élégance naturelle des corps se lisait sur nous tous. Pourtant nous parlions de façon très vulgaire et nos voitures ressemblaient à celles trouvées à la casse. Mais nous étions une jeunesse sans aucun lien avec l’alcool ou la drogue. Être ensemble, sortir ensemble, danser, nous comblait. Nous formions véritablement une bande depuis notre petite enfance. 
Toutes les photos, toutes les images de cette période ne me concernent plus à double titre. Elles n’appartiennent plus à l’adolescent que j’ai été ni à l’adulte que je suis devenu. Elles sont le lot de l’éternelle jeunesse d’À bout de souffle, de L’Atalante ou de Monika. C’est l’impeccable noir et blanc, net comme l’écriture, où chaque partie du corps choisit son camp entre le clair et l’obscur. 



En haut et en bas à gauche : "Monika" d'Ingmar Bergman
En haut à droite : "L'Atalante" de Jean Vigo
En bas au centre et en bas à droite : "A bout de souffle" de Jean-Luc Godard.

dimanche 16 mars 2014

3/ Le corps des autres


p. 35 Je ne me souviens pas de la première fille avec qui j’ai couché. Son visage et son sexe sont deux trous de mémoire. Comment est-ce possible ? Je suppose que je n’ai pas été regardant et qu’elle ne comptait pas. Nous devions être à l’abri des regards dans un des grands tombeaux poussiéreux disposés le long du péristyle du jardin Saint-Pierre. C’est dans ce lieu étroit que j’ai dû pénétrer une fille pour la première fois. Rien ne me console de cette mémoire perdue. Chaque fois que j’y pense mon cœur se serre. Nous aurions tant voulu être amoureux et respectueux d’une fille estimable, mais notre désir peu regardant imposait son impatience blessante, en attendant la jeune vierge vouée aux fiançailles. 



Ici



p. 39 Sous le péristyle du jardin Saint-Pierre, des colonnes renversées servaient de bancs de fortune. Nous les appelions les rouleaux sans aucune conscience de ce qu’ils représentaient. De nombreuses stèles écrites en lettres romaines étaient scellées aux murs. La solidité de cette écriture où chaque lettre gravée, sculptée, l’était de manière décisive, confortait la présence imposante de la pierre.
Je m’asseyais parfois sur un rouleau à côté d’une fille qui paraissait insensible à tout, mais qui se laissait faire. Nous l’appelions Vovonne. Ses cheveux séparés par une raie au milieu lui donnait une allure de Joconde au sourire d’aliénée. Je caressais ses seins greffés sur un torse de garçon. Elle niait tous mes efforts pour l’émouvoir. Les bras ballants, le dos voûté, son regard perçait droit devant elle et laissait sur place l’épaisseur de son absence. Ma main longeait sa cuisse sous la robe, soulevait l’élastique de sa culotte et glissait jusqu’au sexe. Il était dur et froid, figé comme un caillou. Aussi dur et froid que le rouleau de pierre sur lequel nous étions assis, jambes pendantes.




p. 40 et 41 Celles qu’on touchait ne disaient pas oui, mais elles ne disaient pas non. Alors on violait leur hésitation. Elles ne méritaient pas mieux, mais de leur point de vue elles ne méritaient pas moins. 
L’une d’entre elles était allée en maison de redressement pour filles-mères. Jean-Paul, mon copain renvoyé du lycée, l’avait mise enceinte. Elle accoucha d’un enfant qu’il ne voulut reconnaître. Mais était-ce bien lui le père ?
Elle eut une permission, et ne put lui refuser de recoucher avec lui dans une cave, près d’un tas de boulets de charbon. Quand Jean-Paul fut satisfait, les mots doucereux employés pour la convaincre s’étaient taris avec la perte de son sperme. 










mercredi 12 mars 2014

2/ Un père qui meurt


A ma mort, j’aurai si froid 
Épargnez-moi le frisson de la terre 
Brûlez mon corps
Que son ultime chaleur aille jusqu’à vous 
Comme j’ai brûlé mes lèvres au thé brûlant 
De mon père 
Tendez vos mains 
Qu’elles se réchauffent à mon dernier feu 
Que vos yeux brillent de ma dernière lueur

p. 31Ma pré-adolescence prit fin brutalement à l’âge de douze ans. Ma mère me réveilla dans la nuit. Papa venait de mourir. Dans la chambre exiguë où j’ai dormi souvent, il était recouvert d’un drap écru. J’aurais aimé qu’il ait la force de le repousser comme on chasse un mauvais rêve. Elle me dit : « Embrasse ton père ». Je ne voyais pas son visage, mais devinais son front. Je me suis penché pour l’embrasser. Je sortais du sommeil et mes larmes ne vinrent pas. Je m’en acquittai plus tard, le nez collé au carreau d’une fenêtre. Le chagrin sans larmes n’aurait pas été un vrai chagrin. 



Sur l'image de droite, le fourgon s'apprête à partir et dévoile quelques signes de mon destin futur : Le café des Beau-Arts à gauche, l'Institut de Beauté à l'entresol au-dessous du restaurant, et La Coupole, nom de l'institut près des Beaux-Arts de Paris.




Mon père tel un "I" dans la neige, soutenu par une ombre douce et longue, les chaussures de ville enfoncées dans la neige, le bras ballant, interminable et sa longue main, aux doigts fins, aux articulations larges, sa longue main dont j'admirais les veines épaisses, toujours gonflées, comme si elles n'avaient jamais oublié que l'effort appelle le sang. Mon père, isolé de pleurésie, souriant  s'excusant d'être atteint dans un paysage à l'unisson de sa solitude.




Avant la maladie 
En fin de semaine, mon père revient avec la paye. Des billets dans une enveloppe. Ma mère est devant ses fourneaux. Mon père semble heureux. Il se plaque contre elle et glisse l'enveloppe dans la poche de son tablier. Il veut l'embrasser mais ma mère se dégage sans heurt et lui dit :  "Je t'en prie Nissim, pas devant les gosses."












dimanche 9 mars 2014

1/ Les déracinés



Couverture du livre "Libre comme le plomb"




Les disparus ont clairsemé le petit bois familial. À la place des déracinés, 
les souvenirs poussent d’autant plus vifs qu’ils sont anciens. 
J’ai choisi parmi eux les mauvaises herbes, 
dont certaines ont quelques vertus soignantes, 
pour décrire ce qui n’était  qu’un amas enchevêtré 
de culpabilités, de désenchantements, 
mais aussi d’insouciance. 


Ma famille




Rabat intérieur de la couverture

Le sens des mots s’est usé comme les plombs dans la casse du typographe. Les caractères avaient trop servi. Les imprimer une fois de plus aurait noyé les mots dans leur tache d’encre. Il fallait donc se coudre la bouche quelques temps et chercher à dire autrement. Je changeai d’état en substituant un mot par un autre. 
L’aiguille du pick-up sortait du sillon de sa rengaine cent fois creusé et découvrait la suite d’une histoire gravée en moi. J’étais à nouveau libre comme le plomb.
Mais ne croyez pas à ce récit même si tout est vrai car l’écriture manque sa cible. Elle vise les yeux fermés ce qui se dissimule en nous.
 La cible ne ressemble en rien à des cercles concentriques dont le centre serait l’ombilic ventriloque. Ses méandres éperdus sont le désespoir du chasseur.



Chaque homme pose un regard différent sur les femmes. Pour certains, il n’y aura pas de transformation de la pulsion de voir. L’œil muni de griffes saisira sa proie sans le moindre état d’âme. D’autres plus cultivés, verront la femme à travers différents prismes. Sommaires comme des calendriers pour routiers ou travaillés par l’esthétique tous ces calques fantasmatiques recouvriront les vérités des femmes. 
L’image ne résume pas la réalité d’un être. Seuls le temps et l’attention permettent de s’en approcher. Notre connaissance est bridée par les limites de nos sens, de notre intelligence et de nos intuitions. Il ne s’agit pas de saisir ou d’être saisi par l’autre mais de multiplier son approche pour se perdre dans ses rues que l’on croit familières. 
Même s’il semble impossible d’y parvenir, ne pas essayer nous réduirait à une insupportable ignorance qui se mesure en désastres.

p. 10 " L'homme est l'architecte de sa destruction. Pour la dominer il devance toutes les castrations qui le menacent et les offre en sacrifice. Oedipe ignorait qu'il était aveugle de naissance, comme tous les hommes confrontés au sexe."


Oedipe Roi de Pier Paolo Pasolini

Adam et Eve peints par Masaccio


p. 14 " L'étreinte m'a apporté une richesse que les femmes ne soupçonnaient pas détenir."
p. 15 " Il a suffi qu'elles déclenchent  ma passion d'aimer, même mal, pour que naisse en moi une infinie reconnaissance sur laquelle le temps n'a pas de prise. "

L'étreinte de Pablo Picasso
p. 15 " Agée de treize ans, Haninah, ma mère, fut mariée à Nissim son cousin germain. Son père, qui venait de divorcer, quitta le Maroc pour la France avec le jeune couple. Ma mère fut enceinte six mois après. Elle jouait encore à la poupée quand elle arriva en France et considérait mon père, de quinze ans son aîné, comme son propre père. "

p. 18 " « Gœtzmann, à la gueule de brute, aux grosses pattes d’assassin, et sa maîtresse Jeanne Hermann, à l’air sournois, ont fait reculer les bornes du sadisme et de l’horreur. » Le journaliste transcrivit les propos de ma mère : «  Madame Chriqui dit en sanglotant : Le boiteux ne m’a pas laissé une minute pour donner une tétée au petit qui criait de faim. Ils m’ont emmenée avec mes enfants et ont dit en arrivant dans l’immeuble de la Gestapo : " Je porte une famille de six, donnez-moi la clé de leur appartement." J’ai été déportée à Drancy et je n’ai plus su ce qu’étaient devenus mes enfants. » Un garde est obligé d’arracher madame Chriqui à la barre. La femme éplorée saisit son enfant dans ses bras, le tend vers les juges et hurle : «Voilà l’enfant qu’ils ont arrêté à l’âge de quatre mois ! »  
Article du Progrès de Lyon sur le procès.



Goetzmann et Jeanne Hermann furent pendus après leur procès .



p. 19 " Malgré tout, mes premières années furent paisibles. Mon père creusait sur le terrain derrière le café, le sous-sol d’une maison qu’il n’a jamais construite, et moi je tentais de faire pousser des bananiers en enfouissant sous le gravier des peaux de banane. En milieu d’après-midi, après avoir arrosé la cour, ma sœur Rachel m’installait sur un banc, et j’attendais sagement qu’elle distribue un caramel à chacun des enfants qui se trouvaient là. "
Dans la cour, des parpaings attendaient pour une maison jamais construite. 


       Une séance chez le photographe. Ma mère a changé de robe alors que 
       mon père a gardé le même costume. Quand il penche un peu la tête  
        vers elle, elle se redresse et quand elle penche la tête vers lui,
        il se redresse. 

" Pour les costumes, on dirait qu'ils portent des vêtements des années 1936 ou tout début 40... Sur la première photo sa robe est faite en tissu cloqué (c'est un tissu en soie avec un motif peut-être en velours, donc peut-être un velours de soie.) Les manches style moyen-âge et le galon qui est placé en dessous de la poitrine comme un long collier, accentue le côté moyen-âgeux et un peu théâtral. En fait, ça me fait plutôt penser aux vêtements que portaient les femmes du maghreb au 19eme siècle, surtout le haut.Pour la deuxième robe il y a de très jolis empiècements à plis accordéons à l'endroit des poches et du col ainsi que les boutons très décoratifs sur les manches gigots. La longueur des robes, mi-mollets tout simplement. Pour le tissu on dirait du crêpe. C'est un lainage fin qu'on utilisait beaucoup à cette époque.Le costume de ton père, la veste courte et grand col, est certainement confectionné en  lainage avec une fine rayure à 'espacement large, très années 30 aussi, ainsi que la largeur du pantalon." Chantal.



p. 19 Mon père contracta la tuberculose sur le chantier du tunnel de la Croix-Rousse à Lyon. La peur de la contagion obsédait ma mère. Chacun de nous possédait ses propres couverts. Avant chaque repas, elle saisissait sur l’évier un gros savon de Marseille et me passait sur le dos des mains sa face détrempée et blanchâtre. Ses pouces me massaient doucement les paumes et les doigts. Sept bracelets s’entrechoquaient légèrement à son poignet et rythmaient les semaines. Une fois les mains rincées à l’eau froide, elle les enveloppait d’un torchon propre et les frottait pour les sécher.


Mon père fit de longs séjours dans un sanatorium à Hauteville





p. 21 Ma plus jeune sœur prenait prétexte d’aller se promener avec moi pour rencontrer son amoureux. Il s’arrêtait souvent pour l’enlacer. Je restais en arrière. Puis elle me disait : « Tu dis rien à maman, hein ? » 
Son petit ami d’origine kabyle était très apprécié  comme client, mais fut rejeté par mes parents quand ils apprirent que ma sœur était enceinte de lui. Ma mère l’envoya dans une pension pour filles-mères jusqu’à ce qu’elle soit en âge de se marier, et pleura littéralement de désespoir pendant plusieurs semaines. Une Juive avec un Arabe, rien de pire ne pouvait arriver. 


Ma soeur Jeanine et son amant et futur mari 



p.21 Pourtant, dans ce café pour immigrés, comment pouvais-je percevoir la moindre différence entre un travailleur juif et un travailleur arabe ? Ils mangeaient les mêmes plats, parlaient la même langue, écoutaient la même musique de Oum Kalsoum à Blond-Blond et jouaient un peu d’argent au 421 à l’heure de l’apéritif. 





La chanteuse Oum Kalthoum Ibrahim al-Sayyid al-Beltagui




p. 22 Je me souviens des derniers jours passés à Saint-Fons. Ma mère et ma sœur se lavaient accroupies au-dessus de deux cuvettes émaillées. J’entends encore le bruit grinçant des cuvettes sur le carrelage, chahutées par les chevilles. D’une main, elles tenaient le bas de leur combinaison de rayonne mise en boule à la taille et s’aspergeaient le sexe en parlant. Des touffes de poils noirs et luisants roulaient entre leurs doigts. C’est à ce moment que l’on apprit à la radio la mort d’une violoniste et de Marcel Cerdan dans un accident d’avion le 28 octobre 1949. 







p. 23 Je passais les journées avec ma mère ou sur la place. Elle me surveillait du balcon où étaient accrochées les trois lettres de métal peint du mot « kasher » en hébreu. Elle ne voulait plus être séparée de moi et m’envoya à contrecœur à l’école à l’âge de huit ans. Le premier matin de la rentrée, la maîtresse gronda une enfant de la classe et la gifla. Je demandai à aller aux toilettes et me suis enfui pour retourner chez moi. 





p. 24 Le père de mon copain Louis était le gardien du jardin Saint-Pierre en plein cœur du musée des Beaux-Arts, une ancienne abbaye. Grâce à lui, le soir après la fermeture, nous allions jouer dans les nombreuses salles de ce musée. Nous pouvions courir et voir, de part et d’autre, défiler à toute allure des spectacles peints de différentes époques. Nous regardions en ricanant les femmes représentées sur les tableaux. Pour nous, elles n’étaient pas des personnages de la mythologie ou de l’Histoire mais avant tout des femmes nues. Nous leur trouvions de beaux visages, mais bien trop grosses et pas assez bronzées à notre goût. Comme dans la revue Paris-Hollywood nous nous demandions pourquoi elles n’avaient pas de « poils à la chatte ». 

Couvertures de la revue Paris-Hollywood





A gauche "L'automne" de Puvis de Chavannes exposé au Musée des Beaux-Arts de Lyon. A droite deux modèles de Paris-Hollywood. Revue coquine des années 60. L'esthétique ne s'éloigne pas de celle de la danse classique, de l'étirement des corps condamnés à être gracieux.





                                        Femme caressant un perroquet peinte par Delacroix






p. 24 Ces premières images ont sans aucun doute influencé ma perception des femmes. Il m’arrivait la plupart du temps de considérer celles que je rencontrais bien trop belles pour moi et par conséquent inaccessibles. J’avais intégré le caractère intouchable des beautés étranges qui s’offraient sur les tableaux. Leur feu aux joues et la clarté aveuglante de leur poitrine étaient mis à distance par un cordon de protection, une défense de toucher. S’ajoutait à cet interdit la souffrance inhérente à toute privation, surtout quand aucune dimension morale et esthétique ne venait atténuer mon renoncement. Nous désirions l’impossible : embrasser des créatures tenues éternellement à distance. Nous étions des oiseaux crédules qui venaient picorer les raisins peints par Zeuxis.
Seul le petit visage bariolé de la Tête de femme Méduse de Von Jawlensky me fascinait sans aucune tristesse. Il était des nôtres. Je pouvais plonger mon regard dans les petits lacs de ses yeux sur lesquels les Indiens passaient en canoë. J’ai souvent  reproduit ce visage quand je me suis mis à peindre à l’âge de vingt-cinq ans. 



En haut, la tête de Méduse de Von Jawlensky
en bas une de mes premières peintures


Certaines peintures, comme celle de Cranach, Géricault ou Philippe de Champaigne 
semblaient nous juger ou nous accuser.


p. 26 L’oncle Joseph était parti au Canada faire fortune. Après avoir exercé le travail d’éboueur, démoralisé par la neige et la glace, il revint bredouille, mais me rapporta une coiffe à plumes et à mes sœurs des oreillettes en fourrure. Ma mère avait teint en rouge un vieux pyjama à rayures et confectionné avec du carton des franges et des décorations. Sur une photographie et contrairement à mon habitude, je me tiens droit entre deux de mes copains, les jambes plantées comme un tipi. Je suis le chef, car j’ai le plus grand nombre de plumes sur la tête. Nouée à ma taille, pend une petite darbouka. Mon nom est Rattle Snake. Nos chevaux sont derrière nous dans la fontaine Bartholdi. 




p. 27 A l’âge de huit ans mes premiers sentiments amoureux s’éveillèrent pour Brigitte Fossey dans le film Jeux interdits. Cette joliesse qu’affectionnent les vieux généraux et les dictateurs, ces filles « blondes comme les blés aux yeux bleus comme le ciel » me renvoyaient à la douleur que j’éprouvais le matin quand le soleil me regardait, menaçant. Plus il brillait, et plus il dévoilait aux yeux des autres mes imperfections et trahissait mon mal de vivre. 

Brigitte Fossey






p. 28 Entre les Juifs venus de l’Est et ceux d’Afrique du Nord le fossé était immense. Pour les Ashkénazes, nous n’étions ni plus ni moins que des Arabes. Une petite fille d’origine polonaise me plaisait beaucoup. Ses yeux bleus et le parfum naturel de ses cheveux dilataient tout mon être. Un jour, j’étais resté trop longtemps à regarder la télévision chez elle. Ma douce torpeur annulait toute notion de durée. Ma sœur Rachel, folle d’inquiétude vint me chercher et me gifla pour la première fois. Elle en éprouva longtemps des remords. L’angoisse de me perdre ne put retenir son geste.