samedi 29 mars 2014

8/ L'enfance de l'art


p. 80 Pour mon bien, j’ai beaucoup diversifié mes activités. Pendant près de sept ans je me suis rendu deux fois par semaine dans un institut pour enfants autistes. J’ai commencé d’abord par faire peindre de jeunes enfants, mais le plus important fut d’initier le personnel soignant à la peinture. Les éducatrices apprirent à discerner les grandes différences qui pouvaient exister entre chaque peinture d’enfant. Il était tentant d’établir un lien entre ces peintures qui n’accédaient pas à une symbolisation des formes, et l’Action Painting américaine des années cinquante. 

La question de l’opportunité de signer une peinture se posait alors. La toile étant elle-même une succession de signatures du corps. Plutôt que de considérer la différence entre figuration et abstraction, il était plus pertinent d’analyser la trace du corps qui figurait sur la toile. Sans pouvoir formuler ces questions, les enfants en illustraient la problématique. Je donnerai pour exemple une situation que j’ai vécue et qui rend compte avec ironie de ce qu’est le All Over» en peinture. 

J’avais tendu au mur une grande feuille de papier blanc puis refermé la main de l’enfant sur le manche d’un pinceau chargé de couleur. Par le plus grand des hasards sa première trace effleura la feuille mais continua sa course au-delà des bords. Les autres murs de la pièce, les carreaux des fenêtres furent touchés, tachés à leur tour, témoins de la valse étourdissante de l’enfant. J’ai pu lui reprendre le pinceau quand il le passa sur mes chaussures. 
Je n’avais pas prévu une telle rapidité d’exécution. Pour cet enfant, aucune spirale n’était assez ample pour atteindre le monde. Moi, quand je dessinais, je ne pouvais ignorer le support qui fait écran. Les quatre lignes du cadre infléchissaient chacun de mes tracés. Si mes gestes avaient été filmés au ralenti, ils auraient trahi mes hésitations entre un chemin plutôt qu’un autre. Par ce débat involontaire et scrupuleux, je ne pouvais prétendre à la geste indifférenciée de l’enfant autiste qui touchait et confondait toute la réalité du monde en se privant à son insu, des formes symboliques pour le décrire.





 

Enfant peignant






Deux peintures de J. (10 ans)

Peinture de J.F (11ans)



Deux peintures de B. (11 ans)



 Deux peintures de J.F. O (11 ans)


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