dimanche 16 mars 2014

3/ Le corps des autres


p. 35 Je ne me souviens pas de la première fille avec qui j’ai couché. Son visage et son sexe sont deux trous de mémoire. Comment est-ce possible ? Je suppose que je n’ai pas été regardant et qu’elle ne comptait pas. Nous devions être à l’abri des regards dans un des grands tombeaux poussiéreux disposés le long du péristyle du jardin Saint-Pierre. C’est dans ce lieu étroit que j’ai dû pénétrer une fille pour la première fois. Rien ne me console de cette mémoire perdue. Chaque fois que j’y pense mon cœur se serre. Nous aurions tant voulu être amoureux et respectueux d’une fille estimable, mais notre désir peu regardant imposait son impatience blessante, en attendant la jeune vierge vouée aux fiançailles. 



Ici



p. 39 Sous le péristyle du jardin Saint-Pierre, des colonnes renversées servaient de bancs de fortune. Nous les appelions les rouleaux sans aucune conscience de ce qu’ils représentaient. De nombreuses stèles écrites en lettres romaines étaient scellées aux murs. La solidité de cette écriture où chaque lettre gravée, sculptée, l’était de manière décisive, confortait la présence imposante de la pierre.
Je m’asseyais parfois sur un rouleau à côté d’une fille qui paraissait insensible à tout, mais qui se laissait faire. Nous l’appelions Vovonne. Ses cheveux séparés par une raie au milieu lui donnait une allure de Joconde au sourire d’aliénée. Je caressais ses seins greffés sur un torse de garçon. Elle niait tous mes efforts pour l’émouvoir. Les bras ballants, le dos voûté, son regard perçait droit devant elle et laissait sur place l’épaisseur de son absence. Ma main longeait sa cuisse sous la robe, soulevait l’élastique de sa culotte et glissait jusqu’au sexe. Il était dur et froid, figé comme un caillou. Aussi dur et froid que le rouleau de pierre sur lequel nous étions assis, jambes pendantes.




p. 40 et 41 Celles qu’on touchait ne disaient pas oui, mais elles ne disaient pas non. Alors on violait leur hésitation. Elles ne méritaient pas mieux, mais de leur point de vue elles ne méritaient pas moins. 
L’une d’entre elles était allée en maison de redressement pour filles-mères. Jean-Paul, mon copain renvoyé du lycée, l’avait mise enceinte. Elle accoucha d’un enfant qu’il ne voulut reconnaître. Mais était-ce bien lui le père ?
Elle eut une permission, et ne put lui refuser de recoucher avec lui dans une cave, près d’un tas de boulets de charbon. Quand Jean-Paul fut satisfait, les mots doucereux employés pour la convaincre s’étaient taris avec la perte de son sperme. 










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